Les énergies renouvelables sont-elles si vertes?
Remplacer le pétrole pour décarboner nos économies?
Au crépuscule du XXe siècle, le combat pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre (abr. GES) afin de lutter contre le réchauffement climatique s’est imposé comme une priorité absolue. La création du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) en 1988 fut un déclencheur. Ses rapports d’évaluation, publiés tous les 5 ans, ont conduit petit à petit à une prise de conscience de l’impact désastreux de l’activité humaine sur la planète.
En 1997, la signature du protocole de Kyoto traçait le cap et engageait les Etats sur la voie d’une réduction des émissions avec, notamment, l’entrée en vigueur de quotas. En 2015, en France, le vote de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte mettait le pays en ordre de marche. En décembre de la même année, dans la douleur mais en grande pompe, c’est le monde entier qui se mobilisait avec la signature de l’accord de Paris sur le climat signé par 195 pays. Pour la première fois, un texte juridique de portée mondiale reconnaissait l’urgence climatique et réclamait l’impérieuse nécessité de décarboner nos économies.
Ce texte consacrait et donnait un sérieux coup d’accélérateur à la “transition énergétique” par l’entremise des énergies d’origine renouvelables (abr. EnR) amorcée une vingtaine d’années plus tôt.
Aujourd’hui, s’il existe bien çà et là quelques voix trublionnes pour secouer la doxa dominante et laisser suggérer un semblant de pluralisme des opinions, il n’en demeure pas moins que les EnR sont abondamment relayées dans les médias comme la solution idoine pour émanciper les sociétés modernes (industrielles et postindustrielles) de leur dépendance aux énergies fossiles.
Largement plébiscitées au sein des plus importantes organisations non gouvernementales écologistes, dans les sphères économiques et politiques, le développement des EnR sonne bien comme une évidence dans le processus de “transition énergétique” à l’oeuvre. Elles apparaissent comme la solution la plus pertinente pour lutter contre le réchauffement climatique dans le cadre d’un développement et d’une croissance durable.
Les EnR, énergies renouvelables, qu’est-ce que c’est?
Selon wikipedia, les énergies d’origine renouvelable se définissent comme des sources d’énergie dont le renouvellement naturel est assez rapide pour qu’elles puissent être considérées comme inépuisables à l’échelle du temps humain. Les énergies d’origine hydraulique, solaire, éolienne ou encore la biomasse et la géothermie entrent donc dans cette catégorie. Cette définition générale regroupe dans la réalité des techniques très diverses et recouvre des pratiques fort différentes. Il existe en effet un gouffre entre le petit poêle à bois et la méga centrale thermique à biomasse, entre le moulin à eau et le méga barrage hydraulique.
De fait, si les populations humaines ont utilisé le vent, le soleil ou la force des rivières depuis des milliers d’années, le problème soulevé par les EnR aujourd’hui est celui de leur industrialisation.
Excellente idée sur le papier pour remplacer les énergies fossiles, les EnR sont-elles réellement l’alternative miracle répondant aux enjeux environnementaux de la planète et aux besoins énergétiques des hommes qui l’habitent?
La mystification de la transition écologique
Énergie propre, technologies propres, croissance verte, même la finance devient verte… Le grand récit de la transition écologique ne résiste pas à l’étude des faits. Rien n’est propre. La production énergétique a toujours un impact sur notre environnement. Si l’on considère le sac à dos écologique, c’est à dire toutes les ressources qui ont été directement et indirectement mobilisées pour créer un produit fini, la vérité écologiques des énergies vertes est loin de constituer une évidence.
En effet, si les éoliennes ou les panneaux solaires permettent de produire de l’électricité sans émettre de CO2, la production de ces éoliennes et de ces panneaux solaires, elle, en émet. Il faut extraire les matières premières, fabriquer les éoliennes ou les panneaux solaires, transporter les matériaux et les pièces, les assembler. Durant ce processus, on consomme de l’énergie provenant de sources fossiles, et, donc, on produit du CO2.
Les composants nécessaires à la fabrication des technologies de production des énergies vertes nécessitent donc une exploitation massive des ressources minières de la planète. Cet extractivisme à grande échelle n’est pas soutenable. Il engendre de terribles conséquences environnementales et sociales pour les mineurs et pour les populations environnantes. Dès lors, ne s’agit-il pas de déplacer le problème de la pollution d’une économie à une autre?
Ce récit de la transition énergétique, qui serait dans le même temps une transition – voire une révolution écologique, s’apparente ni plus ni moins à une escroquerie intellectuelle, une duperie organisée. Une fable ayant pour objectif de reverdir le capitalisme et son besoin effréné d’énergie qui permet de soutenir sa sempiternelle croissance. Cette mystification est savamment entretenue par les acteurs politiques et économiques qui s’ingénient ainsi, à coup de grandes opérations d’éco-blanchiment, à redorer leur notoriété en s’attribuant une image trompeuse de responsabilité écologique. L’engouement et le parti-pris des principales ONG écologistes pour les EnR résulte quant à lui de leur opposition viscérale au nucléaire couplé à l’exigence de réduire les GES responsables des dérèglements climatiques.
A défaut de transition écologique, nous assistons à une évolution technologique et industrielle, les mines de métaux rares ayant vocation à remplacer petit à petit les gisements pétrolifères. En d’autres termes, il s’agit du passage d’un extractivisme vers un autre extractivisme, de la même manière que le pétrole a suppléé le charbon. Pour résumer, s’il existe une transition en cours, elle peut être qualifiée d’énergétique mais en aucun cas d’écologique.
Le concept de transition énergétique est lui-même largement discutable, dans la mesure où les technologies de production des énergies renouvelables sont assujetties elles-même, dans un grand nombre de cas, à l’utilisation de combustibles fossiles pour fonctionner. De plus, elles s’inscrivent dans une chaîne de dépendance qui participe au bon fonctionnement de la société industrielle.
L’histoire des énergies démontre plutôt qu’il n’existe pas de phases transitives ou un type de production viendrait se substituer à un autre, mais bien plutôt une coexistence des méthodes de production qui cohabitent les unes avec les autres afin de satisfaire une demande toujours plus croissante. Et, de fait, en 2020, on brûle bien plus de charbon qu’au plus fort de la révolution industrielle au Royaume-Uni au cours du XIXe siècle…
Les énergies renouvelables, ni panacée ni calamité
Si les énergies renouvelables ne constituent pas la solution miracle, faut-il pour autant toutes les rejeter en bloc ? La problématique énergétique demeure extrêmement complexe. Nous savons que leur impact environnemental est loin d’être neutre, mais elles demeurent tout de même moins nocives du point de vue climatique. Elles doivent prendre place dans le mix énergétique et se substituer aux énergies fossiles dans le cadre de projets à dimension humaine. De plus, les systèmes de production doivent être relocalisés au plus près des lieux de consommation pour un partage équitable de l’impact environnemental.
Pour autant, le véritable enjeu demeure dans notre capacité à réduire drastiquement notre consommation d’énergie. A elles seules, l’amélioration de l’efficacité énergétique et la réalisation d’économies d’énergie sont des mesures nécessaires mais qui demeureront insuffisantes. Les EnR ne doivent constituer que le chausse pied vers un modèle de transition de société.
Un nécessaire changement de paradigme
“L’énergie est le sang de la société moderne” résume lapidairement l’expert en énergie Jean-Marc Jancovici. Le think tank “The Shift Project” le démontre, il existe une dépendance stricte entre consommation énergétique et croissance du PIB d’un pays. La société moderne résulte de l’exploitation du charbon, du pétrole et du gaz.
Aujourd’hui, elle est confrontée à une double problématique : la raréfaction et la difficulté d’extraction des combustibles fossiles d’une part, la nécessaire diminution d’émission de GES d’autre part. Le système capitaliste développe ainsi les EnR à dimension industrielle pour soutenir son besoin exponentiel d’énergie nécessaire au développement de son modèle économique. C’est tout simplement un business qui en remplace un autre. Selon la formule d’Alain Minc, thuriféraire du système, “le capitalisme est un pari sur le mouvement : c’est de là que vient le progrès”. Le progrès technique, la recherche la science résoudront les difficultés et nous sortiront de l’impasse climatique.
Cette perspective méprise la réalité de la situation. Elle tend à vouloir résoudre les problèmes en appliquant les méthodes-mêmes qui les ont générés. Comment peut-on souhaiter poursuivre un objectif croissanciste alors même que l’augmentation de la consommation des matières premières n’est pas soutenable pour la planète ?
L’épuisement des ressources naturelles est une vérité tangible. Nous ressentons de plus en plus fréquemment les effets de l’effondrement de la biodiversité et de la destruction des écosystèmes, notamment dans les régions “sous-développées” qui subissent, pour ainsi dire, une forme de double peine.
Il nous faut l’admettre, une fois pour toute. Les ressources de la planète étant limitées, nos sociétés modernes devront apprendre à décroître ou seront vouées à disparaître. Isabelle Stengers, philosophe spécialiste des sciences, affirme ainsi que la décroissance, si elle n’est pas volontaire, sera nécessairement subie car inéluctable. L’urgence aujourd’hui consiste à inventer un nouvel imaginaire pour notre futur. Un projet qui n’élude pas les gigantesques efforts qui seront demandés aux citoyens, mais qui propose, en contrepartie, un espoir, une vision d’une autre manière de vivre en société, un nouveau pacte social basé sur la frugalité et la sobriété heureuse où “le lien remplace le bien”.
Romain Tenot, juin 2020
Liens d’articles pour aller plus loin :
Article didactique qui précise les enjeux et concepts :
Comprendre les ravages de l’extraction minière :
Quelques jalons pour appréhender la radicalité décroissante :
Et quelques conseils de sites spécialisés pour creuser le sujet :
Atterrissage un blog qui explore comment transformer notre modèle de société, dans lequel de nombreux experts sont invités à témoigner, chacun présentant sa vision de l’impératif écologique contemporain.
Liens vidéos pour aller plus loin :
« L’enfumage de la transition écologique », interview de Guillaume Pitron 1:30:46
@Thinkerview, 18 décembre 2019
Un entretien instructif, précis, qui ne verse pas dans la caricature avec Guillaume Pitron, journaliste indépendant auteur d’une enquête fouillée La Guerre des métaux rares – La Face cachée de la transition énergétique et numérique parue aux éditions Les Liens qui Libèrent en 2018.
Main Basse sur l’énergie, réalisé par Gilles Balbastre 1:30:48
@Le Media 2018
Avec son esthétique rétro évoquant les polars des années 60’s, ce documentaire dénonce méthodiquement les mécanismes de la dérégulation néolibérale en France en décortiquant la casse des services publics de l’énergie.